94. UNE CHAUMIÈRE
Progressivement, le vacarme de la grêle s’arrête. Le deuxième soleil fait son apparition.
Je me rappelle cette phrase d’Edmond Wells : « Même le malheur finit par se fatiguer de s’acharner sur une même personne. » Je décide de me remettre en marche.
En dépit de l’humidité, le sol reste ferme.
J’avance dans la forêt qui s’éclaircit. Les fougères, aux feuilles recouvertes de gouttes d’eau, sentent l’humus, et les grêlons craquent sous ma semelle.
Le sol monte en pente douce. Le soleil prend des couleurs rougeâtres au point d’inonder de pourpre les nuages opaques du sommet de la montagne.
Je continue de marcher et la faim commence à se faire sentir.
Je pense à Mata Hari. C’est elle qui m’a sauvé de la Gorgone. C’est elle qui m’a donné envie de reprendre mon destin en main. Elle aura été plus qu’une sauveuse, une aide, elle aura été le catalyseur de mon émancipation.
Aphrodite, elle, m’aura vraiment fait tout le mal possible, avec au final la destruction de mon engin volant. Pourtant c’est parce qu’elle a détruit la montgolfière que j’ai trouvé le courage de voler Pégase. Quelque part, d’un mal est sorti un bien.
Il ne faut plus penser à ce monstre féminin.
Le : « Ce qui ne tue pas rend plus fort » est une sacrée ânerie. Je me souviens quand j’étais médecin, j’avais travaillé sur Terre 1 au service des grands accidentés de la route. Leur accident ne les avait pas tués, mais ne les avait pas non plus rendus plus forts. Pour quelques-uns qui s’en tiraient, combien d’estropiés à vie ? Il y a des épreuves dont on ne se remet pas. Il faudra que je l’écrive dans l’Encyclopédie.
Je marche, résolu.
La pente s’élève, et tout autour de grandes masses rocailleuses émergent.
Mais je sais que mon « Éduqué » n’est pas Jésus. Je n’ai fait qu’en reprendre des éléments. D’ailleurs le mien a péri par le pal et non sur la croix. L’Héritier de Raoul n’est pas saint Paul. Raoul n’a fait que copier d’autres éléments.
Le port des baleines n’est pas Carthage.
Mon jeune général hardi n’est pas Hannibal.
Le roi réformateur n’est pas Akhenaton.
Et l’île de la Tranquillité n’est pas l’Atlantide.
Ce ne sont que des reproductions, me répété-je. Ou alors… « Nous croyons choisir et nous ne faisons que suivre un rail préétabli », expliquait Georges Méliès.
Quel intérêt y aurait-il à nous faire refaire l’histoire de Terre 1 ? Assurément ce ne sont que des coïncidences et un manque d’imagination de notre part. Les civilisations, toutes les civilisations de toutes les planètes de l’univers, ont une vitesse de progression logique… nous sommes dans cette vitesse. Trois pas en avant, deux pas en arrière.
On ne peut pas aller plus vite.
Si je rejoue un jour et si je retrouve mon peuple, je tenterai de lui faire sauter des étapes par rapport à l’histoire de référence… ne serait-ce qu’au niveau technique. Il faudrait qu’il découvre l’électricité, la poudre et le moteur à explosion à un degré d’évolution correspondant à l’an 1000 de Terre 1. J’imagine des voitures médiévales avec des boucliers tout autour et une lance en avant pour les joutes.
Là-haut, la lueur lâche un flash.
Je marche avec entrain sur la pente de plus en plus raide. Soudain je distingue au loin une fumée qui n’est pas celle d’un volcan. Une cheminée dépasse des arbres. Une maison ? Je hâte le pas.
C’est une chaumière posée tout contre une paroi rocheuse verticale. Elle ressemble à ces maisons de contes de fées. Le toit est en chaume épais. Les murs sont blancs avec des poutres apparentes. Aux fenêtres sont accrochées des rangées de pots de fleurs garnis de soucis. Sur la façade courent des lierres et des lilas.
Devant la maison on distingue un jardin potager d’où émergent des légumes orange qui me semblent être des potirons. La cheminée répand une odeur d’oignon cuit très agréable. J’ai faim.
Je pousse la porte de bois qui n’est pas fermée. Une grande pièce m’accueille qui sent bon la soupe et le bois ciré, avec une table et des chaises au centre. Le sol est de terre battue. À gauche, dans une grande cheminée, s’élèvent des flammes sur lesquelles ronronne une marmite.
Une voix de femme résonne sur ma droite :
— Entre, Michael, je t’attendais.